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Théatre National de l'Opéra-Comique. Les Monténégrins. Libretto en 3 actes de MM. Alboize et Gérard De Nerval; partition de M. Limnander. (Première représentation le 31 mars 1849.)

Qui ne se rappelle ce bon Charles Nodier, notre ami à tous, dont la bienveillance universelle s'ingéniait à prouver à chacun de nous qu'il avait du génie, de l'esprit, du talent, etc.? Qui de nous ne l'a ouï raconter, lui qui contait si bien, d'une manière si colorée, son séjour en Carniole, où il avait suivi le duc d'Otrante ; où il écrivit son roman de Jean Sbogar, qui le fit remarquer tout d'abord parmi les écrivains romantiques de son époque ? Qui ne l'a entendu causer d'une façon si instructive, si pittoresque, si amusante, de la littérature slave ; des Monténégrins, ces montagnards si farouches, si fiers et si braves ?
C'est dans le pays de ces hommes indépendants que les auteurs du libretto mis en musique par M. Limnander ont placé l'action de leur drame lyrique. Cette action dramatique est un peu cousine germaine de celles de la Dame Blanche et surtout de l'Apparition, opéra de M.M. Germain Delavigne et Benoîst, joué l'an dernier, à la veille des journées de juin. Nous sommes en 1807. Les Français et les Russes se disputent la possession du pays des anciens Sarmates, Dalmates et Croates. Les Monténégrins qui proviennent de ces peuples voudraient bien garder leur indépendance ; mais leur chef, Andréas, s'est vendu à la Russie.

D'un autre côté, Ziska, barde moderne de la Carinthie, est pour le protectorat de l'empire français, et pousse à la reconnaissance de l'autorité de Napoléon par toutes sortes de ballades patriotiques et fantastiques qu'il chante en s'accompagnant de sa guzla, qui joue là le rôle de la lyre antique. Une jeune Bohémienne qu'il a adoptée est avec lui pour le parti de Napoléon, attendu qu'elle aime un jeune officier, capitaine dans l'armée française. Elle lui a déjà sauvé la vie au moment où, pris par les Monténégrins qui obéissent à Andréas, il allait être fusillé ; et elle lui rend encore ce petit service plusieurs fois dans le courant de l'action.

Expliquer toutes les péripéties qui surgissent de cette question d'amour compliquée de politique nous mènerait trop loin : cela n'entre pas absolument dans nos attributions plus analyseuses des choses musicales que dramatiques, et c'est déflorer d'ailleurs le plaisir de la surprise que, selon nous, le spectateur va chercher au spectacle. Qu'il suffise de savoir que le jeune officier français, après s'être enivré d'amour et d'une boisson somnifère dans la tour de la Maladetta, revient sain et sauf, et même vainqueur d'une mission périlleuse dont le général en chef de l'armée française l'avait chargé, et qu'il s'unit de tout coeur à celle qu'il aime, comme les Monténégrins s'unissent à la France : double union qui termine cette action politique, amoureuse et musicale de la manière la plus heureuse.

Il ferait beau voir qu'il en fût autrement à l'Opéra-Comique ! Les obstacles, les modifications, les transformations que la partition de M. Limnander a dû subir pour venir de l'Opéra-National, où elle était sur le point de faire son apparition, sur le Théâtre-Favart, lui a sans doute été favorable, et le compositeur n'a vraiment qu'à s'en féliciter, car il a obtenu un beau succès qui n'aurait certainement pas été aussi franc sur la troisième scène lyrique du boulevard du Temple et du Crime, où la manière largement musicale de l'auteur n'aurait pu être appréciée à sa juste valeur. M. Limnander est un artiste consciencieux qui s'est montré du premier coup mélodiste coloré et dramatique en traitant ce libretto, qui, du reste, lui offrait des tableaux et des situations très-musicales.

La musique de M. Limnander n'est pas ce qu'on appelle savante ; elle n'est pas commune, vulgaire ; elle n'affecte pas la recherche harmonique allemande, et ne tombe pas non plus dans la banale mélodie italienne ; il faut dire cependant que la distinction, l'élégance ne sont pas précisément les signes distinctifs de son talent. Ce talent est, nous le répétons, largement musical. Son style, sans avoir toute la clarté classique que donnent de fortes études musicales, est plein, nerveux, bien attaché; il s'élève jusqu'à l'énergie la plus dramatique quand la situation le demande : ainsi le finale du premier acte est un morceau grandiose qui produirait beaucoup d'effet sur notre première scène lyrique.

L'exécution, au reste, en est remarquable, irréprochable, pour ne pas dire parfaite, avec les chanteurs, les choristes et l'orchestre du théâtre de l'Opéra-Comique. L'octuor soutenu par les masses chorales, et qui se trouve là ; la prière à la Vierge Marie du 3e acte, prouvent que M. Limnander sait parfaitement écrire pour les masses chorales. Cela est noblement embelli d'imitations onctueuses et non recherchées scolastiquement : voilà le véritable style sacré moderne ; c'est simple, grand et beau.

Le commencement de l'ouverture a quelque velléité de ressembler à celle du Freischütz. Comme dans cette belle préface de Weber, on distingue d'abord une entrée des quatre cors qui renoncent presque aussitôt à cette élégie attaquée avec une sorte de mélancolie par ces voix cuivrées. L'allégro a aussi bonne envie de se donner une allure savante par un motif qui semble quelque peu fugué, et qui n'a pas précisément un caractère de distinction très prononcé ; mais cela se perd dans les préparations et le développement d'une péroraison brillante. Le premier acte, dès l'introduction, procède par couplets qui, de chansonnettes en ballades, ne s'élèvent pas à moins de douze dans cet acte. Un soldat breton, comique de la pièce dont nous n'avions point parlé, remplissant les fonctions de brosseur près du capitaine Sergy, commence par chanter deux couplets dans lesquels il déclare à la gentille Monténégrine Régina qu'il est
Le plus mirobolandini
Des hussards de Berchiny

Le barde Ziska chante deux couplets patriotiques et guerriers, puis la bohémienne Béatrice dit deux autres couplets d'une tendre et suave romance dans laquelle elle raconte comment elle a sauvé la vie à un officier que les Monténégrins allaient fusiller. Ce jeune et beau militaire lui dit, pour la remercier de son intervention, que si jamais elle court quelque danger,
Je serai là pour te défendre,
Pour te défendre je mourrai.

Cette jolie romance est délicieusement chantée par Mme Ugalde. Après ces couplets, viennent ceux de Régina au soldat breton : Un petit baiser, fort bien dits par Mlle Lemercier ; et puis la charmante ballade fantastique sur Hélène la châtelaine, orchestrée avec une véritable poésie instrumentale, à laquelle Hermann-Léon donne une couleur de plus dramatique et une charme mystérieux qui en double l'effet. Béatrice, après la ballade d'Hélène, chante un air de bohémienne, de gitane, accompagnée par les voix un peu à la manière italienne con cori ; et puis vient le bel ensemble des voix que nous avons cité plus haut. Le rappel de la romance : Je serai là pour te défendre, y revient d'une façon heureuse, et produit un très-bel effet dramatique, surgissant des masses chorales du finale.

Le trio : Il est minuit, qui ouvre le second acte, est un morceau d'inspiration et d'une excellente facture. La situation est la même que celle de Camille ou le souterrain, dans laquelle le jeune officier Lorédan et son valet, qui craint les revenants comme Foliquet, le soldat brosseur du capitaine Sergy, viennent s'installer, pour y passer la nuit, dans un autre château de Maladetta. Comme Lorédan, Sergy ne croit pas aux apparitions ; il doit donc parler et chanter avec un ton d'ironie et de gaîté insoucieuse. C'est un avis que nous donnons en passant au capitaine Sergy pour les représentations suivantes des Monténégrins. La péroraison de ce trio est charmante par le dialogue de clarinette, de flûte et de cor, qui s'unit à celui des voix.

Cela est suivi de couplets assez insignifiants chantés par le barde et d'un duo qui ne l'est pas moins entre le hussard Foliquet et sa maîtresse Régina ; mais, après ce morceau, vient un autre duo dit par Béatrice et Sergy, duo long, mais dramatique, passionné, beau, suivi d'un choeur lointain, vaporeux, frais, et comme apporté à l'auditeur par la brise de l'Adriatique qu'on voit dans le fond. Ces Brummlieder, comme disent les étudiants allemands, ces sons comprimés et formés a bocca chiusa, ou plutôt à bocca mezza chiusa (bouches à demi fermées), avaient été employés il y a quelques années dans un choeur que fit exécuter M. Limnander au Conservatoire, lorsqu'il y donna concert. M. Auber trouva ce moyen d'un effet pittoresque, original, et le plaça dans son opéra d'Haydée.

L'auteur des Monténégrins est rentré dans sa propriété encore plus licitement que Molière. Il n'a pas seulement pris, il a repris son bien là où il le retrouvait. La coda de ce morceau a quelque chose de délicieux. Nous nous prenions à désirer cependant, en écoutant ce joli morceau, que le compositeur eût procédé par imitations plus exactes, plus canoniques dans le dessin de mélodie dialoguée qu'échangent les deux personnages sur le devant de la scène. Le finale de cet acte, dans lequel les femmes interviennent pour sauver le capitaine que les Monténégrins veulent massacrer pendant qu'il est plongé dans le sommeil par la liqueur somnifère que lui a fait boire celle qu'il aime, ce finale est d'un bel effet ; la situation en est dramatique et musicale au plus haut point. Ce choeur chaleureux rappelle celui du Guillaume Tell de Sédaine et de Grétry dans lequel les femmes suisses, indignées de l'audace des soldats de Gesler et de la servilité de leurs maris, les excitent à la révolte, situation éminemment dramatique et musicale aussi. M. Limnander a traité ce vaste morceau d'ensemble avec autant de richesse d'harmonie et d'instrumentation que de vigueur.

Le troisième acte renferme encore deux morceaux remarquables, la prière à la Vierge Marie, qui a été bissée à la première représentation, dans laquelle ondule d'une façon toute suave une imitation sur le mot toujours ; et le trio de réconciliation entre Béatrice, Sergy et le barde, qui se mêle de tout, même d'unir les amants, dans cette action politique et guerrière. Nous mentionnerons encore pour mémoire la mélodie nationale que chante Régina au commencement de cet acte, chanson accompagnée par une foule de Monténégrines armées de guzlas ou de mandolines, qu'elles font semblant de pincer, et que, pour la vraisemblance, le compositeur aurait dû suppléer à l'orchestre par des harpes ou un pizzicato général au lieu des traits liés que font entendre les instruments à archet et les tenues des instruments à vent. Il y a encore un grand duo peu saillant entre le capitaine et la bohémienne ; et puis un choeur pompeux en faveur du peuple français et des Monténégrins qui termine l'ouvrage.

Nous le répétons, c'est une partition qui a obtenu un franc et beau succès, et qui place M. Limnander au rang de nos bons compositeurs dramatiques. Les acteurs ont joué et chanté cet ouvrage, comme les acteurs du théâtre Favart d'autrefois, sur cette même scène, chantaient et jouaient les grands drames lyriques de Méhul, de Chérubini, de Kreutzer, de Lesueur, de Berton, etc. M. Bauche débutait par le rôle du capitaine Sergy ; il s'y est montré comédien intelligent et chanteur suffisant. Avec un peu plus de légèreté, de diction et de chaleur dans le chant, il sera bientôt un sujet essentiel pour le théâtre de l'Opéra-Comique ; sa voix, sans être bien timbrée, est sympathique.

Quelques-unes de ses notes, et notamment le si haut, sont en quelque sorte un composé de sons de poitrine, de gorge et de tête à la fois, dont se forment des intonations sombrées qui ne sont pas sans charme, mais dont nous lui conseillons cependant de ne pas abuser. On sait que M. Bauche est un chanteur plus expérimenté dans les rôles de notre première scène lyrique que dans le répertoire de l'Opéra-Comique. Sainte-Foy, dans son rôle de hussard brave et poltron, se montre chanteur adroit, bon musicien et comédien très-intelligent dans le récit de la fin. La voix d'Hermann-Léon et son costume pittoresque font du barbe Ziska un personnage qu'on entend et qu'on voit un égal plaisir. Mlle Lemercier est, comme à l'ordinaire, excessivement consciencieuse dans son joli rôle de Régina.

Et maintenant que dire de Mme Ugalde, si ce n'est ce que nous en disons depuis trois ou quatre ans dans la Gazette musicale, en rendant compte des concerts dans lesquels elle s'est souvent fait entendre ? A savoir, que c'est toujours cette voix franche, fraîche, facile audacieuse pour chanter le petit genre mis à la mode par un de nos premiers compositeurs et suivi par tous ses imitateurs ; et que, de plus, elle possède aussi une voix sympathique, expressive, qui sait se poser largement, vous impressionner comme elle l'avait fait si souvent dans les concerts dont nous venons de parler, en disant avec toute son intelligence, son âme, sa sensibilité musicale, l'O patria de Tancredi, ou quelques-uns des beaux chants de notre scène française comme : O mon Fernand ! de la Favorite : aussi bouquets et bravos ont-ils plu sur la délicieuse cantatrice, qui sait ainsi passer du grave au doux, du plaisant au sévère ; et on l'a rappelée avec ceux qui l'avaient si bien secondées, et l'on peut dire enfin que chanteurs et compositeurs ont pu savourer les douceurs du suffrage universel.

Henri Blanchard

Blanchard, H.: Théatre National de l'Opéra-Comique - Les Monténégrins, in: Revue et Gazette Musicale de Paris, jrg. 16, nr. 14, 8 april 1849, p. 107-109.