Benoit-hulde, 12 september 1897 (1)
Les fêtes organisées en l'honneur de Peter Benoit, à l'occasion de l'érection de l'Ecole de musique flamande en Conservatoire royal, ont été une véritable apothéose du maître à l'énergie duquel les Flamands doivent la fondation de cette école, et en général le succès de leur émancipation intellectuelle et économique. Je ne vous parlerai pas des innombrables manifestations isolées qui se sont produites à ce propos. Le point culminant de ces fêtes a été le grand cortège organisé, dimanche dernier, à l'occasion de la réception de Peter Benoit à l'hôtel de ville et auquel, outre une foule innombrable, ont assisté plus de trois cent sociétés chorales ou instrumentales et des délégations de toutes les associations artistiques ou littéraires du pays flamand.
A l'hôtel de ville, Benoit a été reçu par le gouverneur de la province, M. le baron Osy, et par le bourgmestre entouré du collège et de nombreux conseillers. Je passe sur les discours, plutôt abondants, qui ont été lus à cette occasion. Je ne veux retenir que le joli couplet de M. Van Ryswyck sur l'art musical, "qui a appris au peuple des Flandres à reprendre conscience de lui-même et à chanter de nouveau dans sa langue maternelle." L'aimable bourgmestre a ajouté, en parlant de Benoit, que le peuple flamand se reconnaissait aujourd'hui dans ses mélodies comme il se reconnaissait autrefois dans ses peintres.
Le mot est joli. Dans sa réponse à toutes les félicitations reçues, Peter Benoit a rappelé la parole de Goethe : "L'art est aussi une religion." Il a rendu hommage à tous ceux qui ont travaillé avec lui à réveiller la 'Psyché Flamande'. Il a constaté enfin qu'avec la renaissance de la musique flamande, se trouvait complété le cycle des manifestations de l'art en Belgique. Notons enfin quelques paroles du Consul général des Pays Bas, M. de Cuyper, venant apporter à Benoit le salut des flamands du Nord et lui annoncer en même temps que la reine de Pays-Bas lui décernait l'ordre d'Orange-Nassau.
Le maître a été conduit ensuite au balcon de l'hôtel de ville, sous lequel se trouvaient réunies toutes les sociétés ayant pris part au cortège, avec leurs drapeaux et leurs insignes. Alors, sur un signal donné par M. Keurvels, ayant autour de lui toutes les fanfares groupées, ces dix mille poitrines ont entonné deux chorals tirés l'un du Schelde, l'autre de la Rubenscantate. C'était vraiment là un spectacle touchant et émouvant à la fois, et peu de compositeurs auront, de leur vivant, été l'objet d'une pareille apothéose. Plus que l'hommage de ses pairs, plus que les acclamations du public des salles de concerts, la chaleureuse coopération des masses populaires à cette fête aura dû émouvoir le maître. Elle lui aura prouvé qu'il a véritablement touché l'âme du peuple, qu'il l'a, par ses chants, remué jusqu'au plus profond de l'être, qu'il en a véritablement réveillé la Psyché, endormie depuis des siècles.
L'après-midi a eu lieu, à l'Harmonie, un festival musical dont le programme, heureusement, était sobre et bien composé : une marche symphonique de M. Mortelmans, l'un des plus brillants disciples de Benoit ; le lied fameux, d'une saveur et d'un accent si personnels, intitulé Mijn Moederspraak, que M. Henry Fontaine a chanté avec une émotion profonde et communicative ; enfin, la cantate Hymne au Progrès, composée par Benoit pour l'inauguration de l'Exposition Anversoise en 1885 et qui, exécutée par un ensemble de 1.500 exécutants, enfants, femmes, hommes, orchestre, a pris une ampleur vraiment saisissante. C'est M. Mortelmans qui a dirigé tout ce festival avec fermeté et chaleur. Sa marche triomphale (Hulde aan Benoit), par un délicat hommage, est composée de thèmes empruntés à l'œuvre du maître et elle les développe avec éclat et non sans puissance.
Le soir, la ville s'est illuminée, et de nouvelles ovations ont été faites au maître dans la salle des fêtes du Jardin zoologique, où M. Keurvels a dirigé un concert en partie composé d'œuvres de Benoit. A la cathédrale devait avoir lieu une exécution de son Te Deum, mais elle a dû être ajournée, j'ignore pour quelle cause.
M.K.
M[aurice]. K.[ufferath], Correspondances-Anvers, in: Le Guide musical, jrg. 48, nr. 38, 19 september 1897, p. 575-576.