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La musique au Kursaal.

Un petit évènement, dimanche, le début au Kursaal du jeune pianiste André Devaere de Courtrai. Nous avons dit à la suite de quel brillant concours M. Devaere a obtenu récemment son premier prix, par soixante points sur soixante. Le jeune artiste s'étant fait entendre chez notre musikdirector M. Léon Rinskopf, celui-ci fut tout à fait émerveillé et engagea aussitôt Devaere pour une matinée au Kursaal. C'est que le jeune virtuose possède réellement des qualités qu'il est rare de rencontrer chez un adolescent de dix-sept ans à peine.

Doué d'une vraie main de pianiste, il possède déjà un mécanisme superbe ; il suffit d'entendre un seul trait pour être assuré que Devaere connaît sa technique, et qu'il la domine déjà. De plus, il parait ignorer le trac, et joue avec la belle assurance de l'artiste sûr de lui-même. Ce qui vaut mieux encore, il sait phraser, et l'on a souvent - dans son exécution de Chopin par exemple - l'impression qu'il voudrait faire rendre au piano plus qu'il ne peut.

M. Devaere a joué le concerto en ut mineur de Saint-Saëns, où il y a de bien belles pages : tel l'andante, une douce rêverie, où le jeune soliste a eu des nuances exquises, ornant d'arpèges de toute délicatesse le thème quasi religieux confié à l'orchestre. Notons encore le spirituel Scherzo, puis le thème en trois temps du final, franchement martelé par le piano, repris en lié par l'orchestre et qui, vers la fin, emprunte à la sonorité des cuivres un grand éclat. M. Léon Rinskopf, par un de ces mouvements spontanés qui prouvent son excellent coeur d'artiste, avait tenu à prendre sous son autorité le début du petit Courtraisien, en conduisant lui-même l'accompagnement du concerto. C'est dire que cela fut réalisé à souhait, et Devaere jouera souvent avant d'être encore accompagné avec cette intelligente et compréhensive souplesse. A cela nous sommes, nous, habitués à Ostende, et nous n'y insisterons pas. Revenons donc au jeune héros du concert, et constatons qu'il fut applaudi avec enthousiasme après sa belle performance de l'oeuvre de Saint-Saëns.

Il a montré mieux encore les rares aptitudes de son jeune tempérament d'artiste dans l'exécution de la fantaisie en fa mineur de Chopin. Chopin! toute la gamme de sentiments, de l'héroïsme confiant à l'extrême abattement, de la passion la plus exaltée à la douleur la plus intense, tout cela se retrouve dans cette musique d'une originalité unique. Il faut quelque audace pour s'attaquer à cette musique là, et cette audace a réussi à M. Devaere, qui a eu là de ravissantes délicatesses de toucher. Aussi a-t-il littéralement emballé le public, qui ne fit trève que lorsque le jeune virtuose eut donné un bis, enlevé avec beaucoup de brio. En somme, André Devaere a eu dimanche un début plein de promesses.

Il y a en lui l'étoffe d'un véritable virtuose ; il se corrigera vite de certains mouvements défectueux du bras, la force viendra avec l'âge, et l'instinct s'élèvera, par l'étude des chefs-d'oeuvre de la musique, jusqu'à la compréhension parfaite. André Devaere : voilà un nom à retenir ! C'est une étoile qui se lève à l'horizon de la virtuosité. Puisse-t-elle arriver au zénith où brillent celles des Pugno, des Paderewski, des Sauer, des Degreef ! Ajoutons que le petit Devaere a déjà la rare fortune d'être prophète dans sa ville natale, comme le prouve le nombre de ses concitoyens qui ont eu à coeur de venir l'applaudir au Kursaal. Ce beau mouvement de solidarité fait honneur aux Courtraisiens.

N.N.: La musique au Kursaal, in: L'Echo d'Ostende, 17 september 1907.