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L'audition de cet hiver a été donnée par M. Léandre Vilain, professeur au Conservatoire de Gand, virtuose consommé et fort habile à tirer des effets variés de l'instrument à mille voix ; d'une habileté peut-être même excessive, en ce qu'elle se trahit par une tendance à abuser du côté joli, pittoresque et mièvre de l'orgue. Les grands facteurs d'orgue mettent leur amour-propre à inventer une foule de petits jeux et registres fort ingénieux en principe, mais d'une [sic] effet souvent déplorable au concert. M. Vilain nous en a malheureusement donné plus d'exemples qu'il n'en fallait : petits carillonnements nasillards qui évoquent la "boîte à musique", tremblements de toute nature, imitations du violoncelle, de la voix de l'homme et du rossignol, etc. Il faut avouer que tout cela est extrêmement extérieur ; et, lorsqu'une oeuvre a besoin de ces petits "trucs" pour se soutenir, c'est qu'en vérité elle manque de fond.

Je ferai une seconde critique à M. Vilain : elle concerne la composition de son programme. Le répertoire d'orgue est extrêmement vaste: du XVIe siècle au XIXe inclus, le choix est immense pour qui veut se donner la peine de chercher. Pourquoi faut-il alors que M. Vilain interprète des arrangements comme l' Abendlied de Schumann, écrit originairement pour piano à quatre mains et la Träumerei du même maître, composée pour piano à deux mains ? Pourquoi, surtout lorsqu'ainsi transformées ces oeuvres perdent toute leur poésie, toute leur délicatesse, pour s'affaiblir, s'alourdir et acquérir, sous les doigts de l'organiste, cette suavité onctueuse qui leur enlève la plus grande part de la distinction et de leur intimité ? Même reproche pour l' Air varié, extrait de l'une des suites pour clavecin de Haendel : ce morceau-ci semble, au surplus, avoir subi, dans ses cadences, des tripatouillages qui porte atteinte à son style.

Pourquoi faut-il, d'autre part, qu'à côté de ces arrangements le programme de M. Vilain comporte, en majeure partie, des productions secondaires, écrites par des professeurs d'orgue, et où la virtuosité, dans le sens le plus plat du mot, joue un plus grand rôle que l'expression ? Passe encore pour Widor, qui a, par moments, des éclairs d'inspiration. Passe aussi pour Mailly, dont l' Invocation a du bon, en sa sincérité toute simple (Une ovation fut faite, après l'exécution de cette pièce, à l'auteur, qui était dans la salle). Mais Guilmant, et Lemmens, et Thiele ! .. Oh ! cette Cantilène de Guilmant, d'une si triste impuissance ! Et cet Allegro quelconque de la Sonate pascale de Lemmens ! Et ce Thème et Variation trop bien faits, hélas, de Thiele ! Quelle piètre musique ! Nous nous demandons toujours comment il se fait que les interprètes n'aperçoivent pas la distance formidable qui sépare ces productions de celles des vrais maîtres, et comment, voyant cela, ils ne se décident pas à éliminer définitivement de leurs programmes ce fatras encombrant et vain. S'ils désirent que les modernes soient représentés dans leurs auditions, il y a Liszt, il y César Franck, il y a Max Reger !...

De César Franck, M. Vilain avait choisi le court Cantabile qu'il a d'ailleurs excellemment joué. Bien que ce ne soit point une des meilleures oeuvres du maître, quelle autre préoccupation y règne, que de faire sonner tels ou tels petits jeux piquants ou amusants ! Ici, c'est l'expression toute pure, l'aspiration, la prière d'une âme qui rêve et qui voit le ciel. M. Vilain a au moins le mérite, lorsqu'il joue des oeuvres sérieuses, de ne point troubler la divine austérité par des petitesses d'exécution. Nous n'avons que des éloges à lui adresser pour la manière dont il a interprété la gigantesque Passacaille de J. S. Bach, le concerto en mineur de Haendel (écrit en majeure partie d'après des fragments d'oratorios et d'opéras existants) et les Variations de Mendelssohn sur le choral Vater unser im Himmelreich (extraits de la 6e sonate d'orgue). En ce qui concerne J. S. Bach, nous voudrions formuler ici un voeu : celui de ne pas voir les organistes s'en tenir seulement, dans leurs auditions, aux grandes oeuvres du maître, mais jouer aussi parfois l'un ou l'autre de ces merveilleux petits chorals, où le maître a mis le plus pur de son coeur et où son mysticisme se mêle avec une intimité si profonde.

Ch. V.d. B.

v. d. B., Ch. [Charles van den Borren]: L'audition d'Orgue du Conservatoire, in: L'Indépendance belge, 13 januari 1914, p. 3.