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Munich, 30 juillet 1899.

En débarquant à Munich, je tombai dans une des nombreuses brasseries de la ville, le "Löwenbrau", qui me fit l'effet d'une fourmillière [sic] humaine. Bien entendu tout le monde consommait de la Munich, et cette bière est autrement bonne dans la capitale de la Bavière qu'à Anvers. Sur les tables de la brasserie, s'alignent des légions d'énormes brocs en grès dont les couvercles sont soigneusement fermés. Si par hasard vous laissez votre couvercle levé, la "gemüthliche kellerin" croit que votre chope est vide et vous en apporte "illico" une autre. Ces puissantes brasseries organisent des concerts donnés par des musiciens militaires.

J'ai entendu au "Löwenbrau" la musique du régiment des gardes de corps badois de Karlsruhe, sous la direction de M. Boettge. Le programme, bizarrement composé, était consacré à la musique hongroise, italienne et espagnole, et je n'ai pas été peu surpris de voir figurer sur le programme espagnol, comme s'il s'agissait de compratriotes [sic] du Cid, Gevaert avec sa fantaisie sur des motifs espagnols, Gounod avec sa sérénade espagnole et Chabrier avec son Espana. Cela me rappelle la phrase de l'opérette: "Il y a des gens qui se disent Espagnols et qui ne sont pas du tout Espagnols". L'exécution du programme de la musique militaire s'est transformée tout-à-coup en une symphonie avec chœurs! Des guitares et des mandolines intervinrent, les clarinettes et les pistons se mirent à jouer du violon, le bombardon chanta la partie du ténor solo, l'orchestre lui répondit, et le sous-chef dirigeant à la Strauss, c'est-à-dire en jouant lui-même, me parut plus enragé que les autres. On exécutait Funiculi-Funicula. On joue encore d'autres morceaux de la même manière. L'auditoire, silencieux pendant l'exécution, applaudit ferme après chaque numéro. Rien de plus curieux que cette transformation soudaine d'un orchestre. Les musiques militaires allemandes me semblent parfois un peu criardes, mais elles jouent avec autant d'ensemble que de justesse.

A une courte distance de Munich se trouve la localité de Starnberg, située sur le lac de ce nom. Un coquet bateau à vapeur vous conduit à la station de Schloss-Berg. C'est là, entre Schloss-Berg et Léoni, dans un riant paysage, un sous-bois plein de poésie, que Louis II périt dans le lac où il entendait des voix et où il se croyait traîné par le cygne de Lohengrin. A cinq minutes de la première station on découvre le château royal qui n'est pas grand et dont l'ameublement, quoi qu'on en ait dit, est plutôt simple. Le bleu, qui d'ailleurs est la couleur nationale, domine dans les tentures et les tapisseries. On n'a pas déplacé un seul meuble dans la chambre à coucher où l'on transporta le corps du roi après le tragique évènement. J'ai remarqué dans cette chambre un grand buste de Louis XIV, monarque pour lequel Louis II avait une profonde admiration, et une jolie petite statuette équestre en cire de la malheureuse impératrice d'Autriche, cette éternelle fugitive qui parcourut le monde pour échapper à la main de fer du destin et qui finit par tomber sous le stylet de Luccheni. Aux murailles, à côté d'estampes représentant des scènes des drames de Schiller, on voit des gravures et des aquarelles reproduisant les principaux épisodes des œuvres de Wagner. Le portier, qui vous montre tout cela, parla des héros de la Tétralogie absolument comme s'ils avaient existé.

J'ai parcouru, non sans serrement de cœur, le sentier touffu et charmant par où le roi fou alla vers la mort. On élève en ce moment une chapelle expiatoire en pierre blanche dans le lac même, à l'endroit où Louis II s'est noyé. Il est probable que les restes du souverain seront transportés un jour dans une crypte assez belle que possède le château. Il y a aussi une chapelle que l'on est en train de décorer de fresques. En reprenant le bateau à Léoni, j'ai accordé une dernière pensée au monarque qui protégea Wagner et sut imposer ce génie dont l'influence sur toutes les écoles modernes est si considérable. Si dans tout génie il y a du désordre cérébral, en ce sens que le développement exécutif d'une faculté est une anomalie, le pauvre roi de Bavière eut du génie à sa manière, car il avait de la musique une perception aigue, extraordinaire, quasi surnaturelle.

Une chose typique à voir à Munich est la "Hofbrau". C'est la brasserie de l'Etat qui se pique naturellement de faire la meilleure bière. La "Hofbrau" est un immense caveau au plafond assez bas, où grouillent des gens de toute condition qui se dirigent successivement vers le comptoir, y prennent un pot en grès d'un litre - il n'y en a point de moindre contenance - lavent ce broc à une fontaine, puis le passent à la kellerin qui, moyennant 24 pfennigs, le remplit jusqu'au bord. Ce litre de bière est l'ordinaire apéritif. La cohue est telle que vous ne recevez pas toujours le broc que vous avez rincé vous-même, mais on n'y regarde pas de si près; l'essentiel est de détenir le précieux breuvage avec lequel on s'éloigne hâtivement pour aller s'installer à une table où l'on trouve des radis noirs et du saucisson dont on peut se régaler à discrétion. Il y a aussi des plats du jour à bas prix.

Le hall est envahi par des ouvriers, des soldats, des bourgeois, des familles entières même, sans compter les étrangers qui viennent voir ce spectacle. Vous n'avez pas idée de ce qu'on mange et boit en guise d'apéritf [sic]. L'établissement possède en outre une cour ou d'autres consommateurs s'installent autour de grands tonneaux et où l'on chante des chœurs, car la musique se mêle à tout en Allemagne. Des buveurs sont même juchés sur la pompe qui s'élève au milieu de la cour! On croyait voir un tableau de Teniers ou de Craeyer. Aussi plus d'un artiste perdu dans la foule prend-il des croquis de ces pittoresques beuveries où règne une bonne humeur qui me rappelle le vieux diction bavarois:

Die Bayer sind Munter, die Bayer sind gut
Sie stammen aus alten echt Deutschen Blut.

A l'étage de la brasserie se trouve la salle des fêtes qu'on n'ouvre que le soir et où le service est plus confortable, mais je préfère de beaucoup le coup d'œil du caveau, si caractéristique des vielles mœurs. La "Hofbrau" est une des curiosités de Munich.

Je ne puis vous détailler toutes les beautés de la ville au point de vue des beaux-arts. Ce serait faire injure d'ailleurs au public Anversois, qui n'a pas besoin que je lui révèle Munich. Il sait comme moi que c'est un immense Musée car, outre ses deux Pinacothèques, elle renferme quantité d'églises et de monuments superbes, notamment le théâtre, où abondent les peintures et les sculptures. La nouvelle Pinacothèque est consacrée surtout à l'école de Munich. L'ancienne possède un grand nombre de Rubens que j'ai revus avec admiration, mais aussi avec une certaine tristesse en songeant qu'Anvers, la ville natale de l'illustre peintre, n'a qu'un nombre bien limité de ses œuvres. Quelques Van Dyck aussi à la Pinacothèque, mais non des plus célèbres. On les avait demandés pour notre exposition tri-centenaire [sic], mais la commission, comme en général toutes les commissions de musées, a opposé à nos délégués un « non-possumus » absolu.

J'ai été voir au "Glaspalast" (Palais de verre), l'exposition annuelle des beaux-arts où bon nombre de nos peintres sont représentés, non sans honneur.

Malgré ses 450.000 habitants, Munich n'est pas le soir d'une animation extraordinaire. Les grandes artères, éclairées à l'électricité, se dépleuplent [sic] et deviennent très calmes à partir de neuf ou dix heures. Il est vrai que dans cette ville où les arts sont si honorés, le dieu Cambrinus s'est imposé en bon rang dans le cortège d'Apollon et des Muses, et que le soir, dans les brasseries bourdonnantes, des armées de buveurs, levant leurs chopes de grès comme leurs encêtres [sic ] levaient leurs hanaps [sic, schnaps?] et leurs vidercomes [widerkommens], rendent un hommage ému à sa majesté pansue et joviale.

De Vleeshouwer, A.: Impressions de voyage, Gand: Van Doosselaere, 1913, p. 14-15.