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Théâtre de l’Opéra-Comique. Première représentation d’Yvonne, opéra en trois actes, paroles de M. Scribe, musique de M. Limnander.

Nous sommes en Vendée pendant la guerre des blancs et des bleus. On se hait, on se tue. Les pères combattent contre les fils, les frères contre les frères. Les mères gémissent, les filles maudissent la guerre et ses fureurs. On entend le tocsin, le canon, la fusillade. Les Bretons, gens pieux, se mettent à genoux sur les places publiques et prient Dieu de bénir leurs armes, c’est-à-dire de leur accorder la grâce de tuer le plus de bleus qu’il se pourra.

Yvonne est une brave fermière dont le mari déjà a succombé sous les balles des bleus. Il lui reste deux enfans, Jean et Loyse. Jean veut venger son père et ne rêve que l’extermination des bleus. Loyse, au contraire, aime Robert, un brave soldat bleu que la conscription enleva et qui se voit ainsi forcé, tout Breton qu’il est, de combattre les blancs.

Un seigneur du pays, le marquis de Tintignac, l’un des chefs du parti vendéen, a laissé dans son château Blanche, sa fille, sous la protection d’un neveu qui bientôt doit devenir son gendre. Mais Jean a osé lever les yeux jusqu’à la fille de son seigneur. Il aime Blanche, qui, de son côté, n’est pas insensible à l’amour respectueux de Jean.

La pauvre jeune fille n’en est pas moins obligée de donner sa main à son cousin qu’un ordre du marquis appelle à l’armée vendéenne aussitôt après la célébration du mariage.

Jean au désespoir veut se faire tuer et accomplit des prodiges de bravoure et d’audace. Selon l’usage, la mort ne veut pas de lui ; il est couvert de gloire, il obtient les éloges de Charette ; on le nomme capitaine et chevalier de Saint-Louis. Le mari de Blanche, qui ne demandait qu’à vivre, au contraire, est, selon l’usage encore, tué à la première affaire. Ainsi le digne paysan Jean se rapproche de plus en plus de la noble dame qu’il aime. On peut espérer maintenant un dénoûment heureux pour cet amour. Celui de Loyse pour Robert n’a pas la même chance. Une troupe de bleus envahit le village où se trouve la ferme d’Yvonne ; un billet de logement oblige la fermière à recevoir l’un de ces soldats détestés.

C’est Robert. Loyse ne peut dire qu’à la dérobée quelques mots à son ami ; personne ne doit soupçonner son amour pour un bleu. De plus, ce soir-là précisément, son frère Jean, à travers mille dangers, avait pu pénétrer jusqu’à la ferme, et venir, après trois mois d’absence, embrasser sa mère et sa sœur. On le cache au plus vite à l’arrivée des bleus. Mais une alerte appelle ceux-ci dans la campagne. Robert reprend ses armes et disparaît ; bientôt après, Jean court sur ses traces après avoir reçu la bénédiction de sa mère et la montre d’argent que son père mourant lui légua. Quelques mois encore se passent, une grande bataille a été livrée. Jean a écrit à sa mère qu’il en est sorti sain et sauf, mais qu’il ne pourra de longtemps lui donner de ses nouvelles, une mission importante l’obligeant à passer en pays étranger.

La pauvre Yvonne est loin de se douter que cette lettre de son fils a été écrite la veille de la bataille et n’a dû être envoyée à son adresse que si Jean a succombé. Or c’est ce qui est arrivé. Seulement j’oubliais de dire que Jean, informé, je ne sais comment, de l’amour de Loyse pour un bleu, en honnête garçon exempt de fanatisme et qui veut avant tout assurer un protecteur à sa mère et à sa sœur, ordonne à Yvonne, dans sa lettre, de marier Loyse à celui qu’elle aime. Voici venir Robert, il est encore une fois accueilli à la ferme ; il va épouser Loyse. Il raconte comme quoi, grièvement blessé à la dernière bataille par un Vendéen, il a trouvé assez de force pour lui lâcher un coup de fusil qui l’a couché à terre. Le Vendéen en tombant lui a présenté sa montre : "Porte-la à ma mère, a-t-il dit, à la ferme de…" La mort ne lui a pas permis d’achever, et Robert, depuis ce moment, a gardé ce dépôt. - "Une montre ! dit Yvonne, montrez-la-moi."

La pauvre femme reconnaît en frémissant la montre de Jean. Elle comprend alors que Jean est mort, que sa lettre fut un pieux mensonge. Horreur ! Laissera-t-elle sa fille épouser le meurtrier de son fils ?… Mais si elle rompt ce mariage, ne verra-t-elle pas Loyse languir dans les larmes et mourir de chagrin ? Au milieu de cette cruelle perplexité, des paysans accourent, ils ont surpris un blessé bleu qui rôdait autour de la ferme. "Faut-il le secourir ? - Qu’on le fusille !" crie Yvonne exaspérée. Le blessé est traîné devant elle. C’est Jean qui, faible encore, a endossé l’uniforme des bleus maîtres du pays pour parvenir à la ferme.

Puisqu’il n’est pas mort, tout s’arrange ; Yvonne pardonne à Robert, lui donne Loyse, et on entrevoit même dans un avenir peu éloigné le mariage du capitaine Jean avec la jeune veuve fille du marquis de Tintignac. M. Scribe a introduit comme contraste, au milieu de ces scènes de fanatisme et de violences, un personnage épisodique fort intéressant, celui du colporteur Mathieu Gildas, dont les deux fils se sont entretués au début de cette affreuse guerre. Gildas, depuis lors, n’est ni blanc ni bleu, et, au risque de se faire prendre pour un traître ou un espion par les deux partis, il prévient en toute occasion l’effusion du sang français en avertissant les uns des embuscades des autres.

La partition de M. Limnander est l’œuvre d’un musicien sérieux et d’un grand talent ; tout y est traité avec autant de soin que d’intelligence, et le nombre des morceaux qu’il faut citer y est considérable. Je n’ai pas une idée bien nette de la première partie de l’ouverture, ne l’ayant entendue qu’une fois, mais le dernier allegro m’a paru habilement conduit et instrumenté d’une façon brillante. Les effets d’instrumens de cuivre et le mouvement général de la coda rappellent seulement un peu trop la péroraison de l’ouverture de la chasse du Jeune Henri.

On a tout d’abord applaudi de jolis couplets à deux voix, d’une mélodie élégante et fraîche
Voici le joli mois de mai ;
le duo entre Blanche et Loyse :
A sa marraine il faut tout dire ;
des couplets fort touchans et dits par Jourdan avec autant de goût que d’expression. La valeur musicale du duo suivant est beaucoup plus grande néanmoins :
Voici venir la guerre.
On y remarque surtout une belle phrase supérieurement chantée par Mlle Wertheimber :
Mon fils, songe à ta mère,
Qui priera Dieu pour toi !
et une mélodie pleine de tendresse exécutée par les violons au moment où Yvonne embrasse son fils.

Pendant le final, les paysans bretons, invités à la noce de Mlle de Tintignac, se réjouissent d’un côté, Jean, Yvonne, Loyse et Blanche se désolent de l’autre ; ce contraste est ingénieusement traité par le compositeur, et l’ensemble du morceau produit un effet puissant, surtout par le rhythme.

Au deuxième acte, l’air d’Yvonne pleurant son fils est d’une belle couleur ; on y remarque en outre un dessin d’alto fort original.
L’air de Robert : O beau pays de la Touraine produirait plus d’effet sans les notes en voix de tête qu’on y entend à la fin, et qui en affadissent le caractère.

Le duo en style sautillant et syllabique chanté par Loyse et son amoureux ne me semble pas tout à fait en harmonie avec la situation ; l’imitation musicale du tic-tac de la montre par des notes aiguës de violons en pizzicato me paraît aussi un peu enfantine ; mais le final a beaucoup de mouvement dramatique.

Au troisième acte, le mélange des deux airs : Vive Henri IV ! et la victoire, en chantant, caractérisant les blancs et les bleus, est habilement opéré par le compositeur. Cela est pompeux et énergique. Il faut louer encore un bel air avec chœur : "Plus d’alarmes", et un autre d’Yvonne pleurant son fils, plein d’accent et d’une émotion sincère, et une foule de détails d’instrumentation ingénieux et piquans. La partition d’Yvonne est un digne pendant à celle des Monténégrins, et assigne à M. Limnander une place très honorable parmi les musiciens contemporains.

Mlle Wertheimber, qui débutait dans le rôle si dramatique d’Yvonne, s’y est constamment montrée cantatrice habile, actrice intelligente. Sa voix, belle et expressive, est conduite avec un art que ne déparent aucune des détestables habitudes du chant vulgaire parisien.

Jourdan est charmant dans le rôle de Jean ; sa voix de ténor, exclusivement de poitrine auparavant, a acquis depuis quelques mois des sons de tête d’un excellent timbre et dont il sait tirer le meilleur parti. L’acteur chargé de représenter le faux espion Gildas (il se nomme Ambroise, je crois) a droit à des éloges comme acteur ; Troy chante bien le rôle de Robert. Mlle Bousquet est une élégante jeune veuve, et Mlle Cordier une joviale petite Bretonne qui brave intrépidement le danger des vocalisations ambitieuses, et termine sans peur, sinon sans reproches, les périodes les plus osées.

Berlioz, H.: Théâtre de l’Opéra-Comique - Première représentation d’Yvonne, in: Feuilleton du Journal des Débats, 9 december 1859, p. [1-2], online via Site Hector Berlioz.