Ga verder naar de inhoud

[In het Parijse muziektijdschrift Tribune musicale - Revue latine van 16 mei 1914 vonden we een ingezonden brief van Jef Van Hoof. In die brief reageert hij tegen een artikel van ene Charles Wattinne die in een vorig nummer werk van Peter Benoit op de korrel had genomen. Van Hoof kroop in zijn pen en ging in het verweer. En volgens de inleiding van de redactie kwam dat niet onverwacht. De inleiding bij de brief van Van Hoof is gesigneerd door de Waalse vioolvirtuoos Mathieu Crickboom, die het tijdschrift vanuit Brussel leidde als ‘directeur-artistique’.]

Ainsi que je le craignais, l’attaque injustifiée de M. Charles Wattinne contre Peter Benoit a fait bondir d’indignation ses jeunes et fervents disciples. M. Wattinne apprendra ce qu’il en coûte de parler inconsidérément de carillon et d’éclatement d’obus! Voici la lettre que nous adresse M.J. Van Hoof, compositeur à Anvers.

M.C.

*****

Quoique je ne sois pas élève de P. Benoit, je veux ramasser le gant si maladroitement lancé par M. Charles Wattinne. Je ne connais pas M. Wattinne, dont le nom signifierait en mon patois flamand wat(t), quelque chose, in(ne), dedans. En lisant ses lignes sibylliques je me sentis désappointé, car elles ne contiennent rien, elles équivalent à peine à notre expression niks-inne. Il y a des gens qui, par malheur, ont été baptisés d’un faux nom. Une phrase comme celle-ci : "Je n’aurais pas le mauvais goût de blaguer certaines œuvres du maître anversois; il y a notamment quelques cantates que ne voudrait pas signer un élève-auditeur de la classe Xavier Leroux, et dans lesquelles les plus déplorables effets de sonneries de carillon ou l’éclatement de quelques obus tiennent lieu d’idées", dénote fort peu de connaissance de l’œuvre du maître. C’est la fanfaronnade insignifiante d’un jugement sans fond.

Peter Benoit connaissait à merveille l’orchestre et la batterie. Il était trop grand artiste pour confondre le sonore et le clinquant et se perdre dans des qualités d’ordre secondaire qui, aujourd’hui prédominent et ont une influence néfaste sur l’art en général. Pour lui, il y a avait la musique avant tout: la musique et son peuple; deux choses à jamais inséparables. P. Benoit était conscient de son rôle, ainsi que le prouve sa brochure intitulée Verhandelingen der nationale Toonkunst (Dissertation sur la musique nationale) dans laquelle il dit: "Se connaître soi-même et connaître son peuple est le premier pas vers tout cosmopolitisme." Ce principe, il a su le confirmer par des œuvres impérissables. Tous les compositeurs ne peuvent se glorifier d’un tel point de départ auquel somme toute, l’école russe doit son origine et Richard Wagner son existence.

Et maintenant, revenons au thème initial, ma modulation s’éloignant trop d’une quinte! Laissez-moi vous renvoyer, Monsieur Wattinne, à la Buls-Cantate et, à la fin de l’oratorio De Schelde, vous y trouverez un emploi fréquent, mais intéressant et amusant des instruments à percussion. Dans la Commémoration de Conscience, vous trouverez un effet de cloches saisissant produit par les cuivres, le seul vraiment réussi que je connaisse. Des combinaisons fort heureuses de sonneries et de batterie sont éparpillées dans toutes les cantates de Benoit, le plus souvent écrites pour être exécutées en plein air. Laissez-moi vous indiquer encore le passage dans la cantate d’enfants, De Wereld in, p. 27 et suiv., d’un caractère exceptionnel, où l’ensemble dépeint si bien la hardiesse des garçons, aux mots "maar rukt op onze erve de vijand aan" ("mais quand l’ennemi s’avance sur nos terres") qui se disent les héros de la patrie; l’ouverture de Charlotte Corday, la Rubenscantate, pages uniques dans la littérature musicale contemporaine.

Une occasion se présente, Monsieur Wattinne, pour vous et pour ceux qui ignorent encore ou nient, bon gré mal gré, l’œuvre de Benoit - de vous rendre compte des effets grandioses et des trouvailles géniales du maître anversois. Une exécution de la Rubenscantate, sous la direction de E. Keurvels, aura lieu à Anvers, le 12 juillet, à 8 ½ heures du soir (1.200 exécutants), Place Verte, milieu pour laquelle elle a été créée en 1877 (commémoration du tricentenaire de la naissance de Rubens), place qui depuis lors n’a presque rien perdu de son aspect original. Assimilez-vous cette œuvre dans laquelle le carillon de la cathédrale vient se mêler aux chants et à l’éclat des cuivres et où l’obus tient lieu d’idée - il y en a d’autres avant vous qui s’en sont moqués - et si vous avez une âme et un cœur assez grands pour jouir de cette infinie beauté, de ce quoi, ce géant immortel a su animer sa race, vous en reviendrez converti, la bouche à tout jamais close. Pour nous, qui vivons dans la tradition du maître, nous nous réjouissons du revirement de notre peuple et de notre art flamand qui, dans un temps futur, sera incontestablement reconnu. Aucun ver de terre ne peut diminuer l’œuvre engendrée par le Saint-Esprit. Ainsi que le dit Victor Hugo, dans son étude sur William Shakespeare: "pour les hommes de réelle valeur, tout commence six pieds sous terre!" J’ai dit.

Hove, 10 mai 1914.
Jef Van Hoof.

Van Hoof, J.: Correspondance, in: Tribune musicale. Revue latine, 16 mei 1914.