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[Karel Buls was van 1881 tot 1899 de (liberale) burgemeester van Brussel. In die hoedanigheid streefde hij naar de tweetaligheid van de hoofdstad. Op een diner bij de minister van Financiën waren Buls en Gevaert disgenoten en raakten ze in een geanimeerd gesprek verwikkeld. Dit is de neerslag van dat gesprek, zoals het door Buls in zijn dagboek werd neergeschreven.]

27 Mars 1894. - Conversation avec Gevaert

Dîné aujourd'hui chez le Ministre des finances. J'étais placé à gauche de M. Beernaert et j'avais Gevaert, directeur du Conservatoire de l'autre côté. Gevaert est un self made man, un autodidacte comme il s'en vante lui-même. Je me suis amusé à lui faire conter ses débuts: il est né d'une famille de paysans, d'un petit village près d'Audenarde. Sa mère, femme de bon sens, voulait en faire un cordonnier, mais une circonstance fortuite révéla sa vocation musicale. Son oncle était l'organiste du village, son frère chantait au jubé. Un rhume empêcha ce dernier de remplir son office. L'oncle de Gevaert lui dit:
- Tu auras à le remplacer pour l'Avent.
- Mais je ne sais pas chanter.
- Cela ne fait rien, je te l'apprendrai.
En effet, le jeune Gevaert chanta si bien que son oncle lui fit continuer. L'orgue le tenta, il chercha à imiter ce qu'il avait vu faire par l'oncle, si bien qu'un jour celui-ci s'écria: Mais ce gamin a des dispositions étonnantes. Le gamin fut envoyé au Conservatoire de Gand. Un soir il assista à une représentation de J. Puritani et il se sentit musicien. Ses progrès furent si rapides qu'au bout de peu de temps le directeur lui dit qu'il pouvait aller à Bruxelles pour le concours de Rome. Il le fit et fut proclamé vainqueur.

Comme je m'étonnais que dans ses conditions il fût devenu aussi savant (car outre ses connaissances musicales Gevaert connaît l'espagnol, l'italien, le latin, le grec et le sanscrit, sans jamais avoir fréquenté une école), il me répondit: je n'ai jamais eu de peine à apprendre quoi que ce soit pourvu que cela me plût. Les circonstances m'ont favorisé, je n'ai jamais été contrarié dans ce que j'ai voulu faire par mes parents et je suis toujours parvenu à me tirer d'affaire tout seul. J'étais un paysan et comme tel j'avais une âme fraîche sur laquelle les choses extérieures faisaient une profonde impression, en me donnant par-là même l'ardent désir de les comprendre et de les approfondir. J'avais bien dix camarades aussi intelligents que moi dans mon village mais l'occasion de se développer ne s'est pas présentée pour eux. Aussi quand Graux nous a traités de barbares je l'ai vivement ressenti, car cela était injuste.

Je lui répondis que Graux s'était placé à un point de vue politique, qu'il considérait les ruraux comme soumis aveuglément à leur curé et, menés par luis, capables de se ruer sur les libertés modernes.
- Mais est-il étonnant qu'ils écoutent leur curé, qui lui seul, pendant des siècles s'est occupé d'eux?

Nous parlâmes ensuite de musique: Gevaert après sa première visite à Bayreuth, du vivant de Wagner, était très réservé dans ses appréciations; aujourd'hui il n'a pas hésité à dire que c'était un génie, d'une vaste science, avec moins de profondeur que d'autres maîtres, peut-être, mais les dépassant par l'étendue de ses aptitudes: musicien, poète, philosophe, metteur en scène. C'est ce qui donne tant de puissance à son oeuvre et lui fait produire une impression si forte; il est complet.

Je lui demandais si la caractéristique du style wagnérien n'était pas l'emploi de leitmotive. Certainement, me fut-il répondu, quoiqu'il ne les ait pas inventés. Grétry les avait employés, mais Wagner les développa et en tira des combinaisons qui n'avaient jamais été essayées avant lui.

Ne trouvez-vous pas que Wagner martyrise quelquefois ses auditeurs par la répétition du même motif ou la prolongation de vibrations énervantes de manière à produire ensuite un effet de contraste vivement ressenti par l'auditeur, à l'aide d'une mélodie douce et caressante qui fait l'effet d'une source rafraîchissante au voyageur altéré par la traversée d'un désert aride?

Oui, certainement, mais ces oppositions, ces antithèses sont des moyens que l'art a toujours employés, dans toutes ses manifestations.

Ne trouvez-vous pas cependant que Beethoven reste toujours le géant insurpassée?

Comment donc! trop grand pour nous. Nous ne comprenons pas encore son génie. A mesure que l'art musical se développera on l'appréciera mieux. La 9e symphonie est jusqu'à présent le summum de l'art musical. Je suis persuadé que la 9e symphonie bien comprise sera un jour un rameau de paix et de concorde entre les hommes.

Bots, M. (edit.): Het dagboek van C. Buls, Gent, 1987, p. 98-99.