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Nos journaux sont à l’unisson pour faire l'éloge de cette œuvre remarquable du jeune maëstro belge, on en jugera par les extraits suivants:

Indépendance. - « Le résultat de cette périlleuse épreuve a été complétement favorable à l’artiste qui a eu assez de confiance dans ses forces et assez de courage pour la tenter. On peut être d'avis que M. Benoît ne s'est pas toujours placé réellement, dans ses compositions religieuses et instrumentales, à la hauteur où des amitiés enthousiastes ont essayé de l'élever; on peut trouver qu'il y avait des côtés faibles, à côté d'excellentes parties, dans certaines de ses œuvres louées avec exagération; mais ce qui est incontestable, c'est que ce n'est point un artiste d'une trempe ordinaire et qu'il y a, dans la difficulté même des entreprises où il se jette, l'indice d'une organisation supérieure à celle des musiciens dont la médiocrité se complaît dans les petites choses. Des différentes tentatives faites jusqu'à ce jour par M. Benoit pour réaliser de grands projets de composition, aucune ne présentait autant d'obstacles que de Lucifer; aucune n'a mieux réussi. M. Benoit a fait preuve d'imagination et de science dans la composition de son oratorio. Plus que dans ses œuvres précédentes, il a marqué ses conceptions mélodiques ainsi que les formes instrumentales qui les en cadrent, d'un cachet de personnalité. Parfois il a abusé de la force, cédant en cela à un penchant qui lui est habituel, mais il a fait une part plus large que d'ordinaire aux nuances modérées. Le défaut le plus grave qu'on puisse reprocher à la musique de Lucifer, c'est l'abus des répétitions. »

Office de Publicité. - « La réussite éclatante de l'oratorio, poème et musique, l'acclamation qui a salué le jeune maître, tout ce qui s'est passé le jour de cette grande fête de l'Art, et même ce qui ne s'y est point passé, vous savez tout. Il ne nous restera qu'à vous montrer la puissance de conception, la grandeur des lignes, la couleur prestigieuse de cette splendide création, et aussi les réserves et les justes critiques que la vérité impose à notre sincère et profonde admiration. Des beautés radieuses, et des défauts voulus, obstinés qui amoindrissent l'effet de l'œuvre, sans diminuer la haute valeur du musicien. Voulez vous, d'avance, notre sentiment sur ce lutteur courageux, sur cet artiste vaillant et fort: J'en connais, j'en connais beaucoup qui ont plus de talent; j'en sais très peu qui aient, dans un coin de la cervelle, ces lueurs d'une flamme insaisissable, qu'il faut appeler de son nom: le génie. »

Liberté - « Je pourrais commencer ce compte rendu par un chant de triomphe et m'écrier: Il nous est né un vrai musicien un artiste dans toute la force du terme! Non pas que M. Benoît n'eût déjà abondamment fait ses preuves; mais si jusqu'ici, dans les diverses œuvres de ce compositeur, on avait pu remarquer une science profonde, une très-grande habileté dans l'art de faire manœuvrer les masses musicales, jamais encore on n'avait été ébloui par l'éclair du génie, jamais il ne s'était révélé avec la puissance, l'originalité et - ce qui nous a étonné - avec la magistrale simplicité dont il a fait preuve dans cet oratorio. Nous pouvons, sans aucune crainte, le placer immédiatement au-dessus des maîtres du genre; sans même qu'il y ait entre eux une bien grande distance. Et ce n'est pas une mince gloire pour M. Benoît que de débuter ainsi par un coup d'éclat dans une carrière où si peu de ses compatriotes se sont hasardés. Car il est à signaler que les Belges, dont le tempérament musical semblerait cependant devoir se rapprocher intimement de celui des Allemands, n'ont jamais produit rien de remarquable dans ce genre. Bien mieux, ce n'est même qu'avec assez de froideur qu'ils ont accueilli les œuvres des maîtres d'outre Rhin qu'il leur a été donné d'entendre. Aux festivals de Dusseldorf ou des autres villes de la ligue musicale, on voit bien quelques fervents adeptes de l'art allemand qui, régulièrement, accourent de Liège ou de Bruxelles; mais leur nombre n'augmente guère, et lorsque, à Bruxelles, on nous fit ouïr ces oratorios de triste mémoire, ce ne fut pas précisément un succès de très-bon aloi qui accueillit cette exécution. Et voilà que M. Benoît ne se contente pas de nous servir un chef-d'œuvre - le mot lâché, je ne le retire pas - mais encore il fait si bien qu'on y prend goût, on accourt, on se presse aux répétitions; il parvient avec des amateurs à une exécution remarquable en certains endroits et il se fait en d'autres, un succès et d'enthousiasme et d'émotion. »

Bulletin du Dimanche - « Nous avons toujours les deux mains ouvertes à propos de M. Benoît, la main de l'éloge et la main du blâme. C'est que le bon et le mauvais se mêlent sans cesse dans cette nature curieuse et incomplète. C'est qu'on ne peut jamais l'approuver ici, sans le condamner là. C'est que les qualités les plus rares s'unissent dans ce talent qui s'enfle et se travaille aux faiblesses les plus naïves et aux plus étranges confusions. N'importe, s'il parvient à séparer l'alliage du métal pur, s'il rejette toutes les scories qui encombrent ses œuvres et qui les grossissent outre mesure, il nous restera un musicien ayant le don des fiers accents, le culte des inspirations élevées et la recherche des grandes conceptions. »

Belgique - « M. Benoît, à chaque création nouvelle, semble grandir; les qualités qui distinguent sa riche nature vont toujours se développant; l'inspiration est abondante, puissante; on retrouve à chaque pas une noblesse d'idées, une force d'expression inouïes; il a une prodigieuse entente des effets. Sa musique est de la musique colossale, s'il est permis de s'exprimer ainsi; elle est esquissée à grands traits et touche quelquefois au sublime. Mais ce magnifique talent est-il complet? Non, il lui manque souvent la grâce; la tendresse, le charme dans la pensée, l'élégance et la finesse dans les détails, qualité qui sont indispensables surtout dans une œuvre de cette dimension; le grandiose doit y dominer certainement, mais ne doit pas avoir ce caractère d'uniformité qui fatigue même l'admirateur le plus enthousiaste. M. Benoît, merveilleusement doué, comme il l'est, arrivera certainement un jour à combler ces lacunes, mais il faudra pour cela qu'il mûrisse davantage ses compositions et qu'il les produise en public avec moins de hâte. »

N.N.: Lucifer, de Pierre Benoit, in: Le guide musical, jrg. 12, nr. 42, 18 oktober 1866, p. [3-4].