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[In het julinummer 1896 van Musica Sacra verscheen een bibliografisch artikel over Adolphe Samuel, directeur van het conservatorium van Gent. Samuel reageerde daarop in oktober 1896 met onderstaande bijdrage.]

À propos des Trois Motets
Réponse de M. A. Samuel

[…] Monsieur le Directeur,

A propos d’un compte rendu de mes trois Motets publiés chez Mme Beyer, que je ne lis que maintenant, et où, me semble-t-il, j’ai été un peu fortement attaqué, permettez-moi d’user de vos colonnes pour exposer quelques-unes de mes idées, fort simples, fort élémentaires en fait de musique religieuse contemporaine, et vous prouver surtout que je n’entends nullement, en cette matière, me poser en novateur, réformateur ou révolutionnaire.

Avec vous, en effet, je considère le chant grégorien comme le type inimitable, insurpassable de la musique religieuse; avec vous encore, en dehors du chant grégorien, je vois dans l’œuvre de Palestrina et de Bach les modèles de l’art sacré, modèles de facture, modèles d’expression, auxquels exclusivement on devrait s’en tenir.

Mais voyez : Bach est malaisé à exécuter. Il faut des études, du travail; il faut des exécutants, de la place au jubé pour les mettre; il faut des ressources pour réaliser le tout. Cela n’est faisable que dans les grandes cathédrales. Par malheur, la polyphonie se perd en échos parmi les voûtes de ces vastes nefs. Pour Bach, l’idéal reste toujours le concert.

Palestrina, c’est autre chose: la difficulté est de le chanter. Et le chante-t-on ailleurs qu’en quelques lieux exceptionnels: Ratisbonne, Mayence, Munster, Cologne, St-Gervais de Paris, et la chapelle Sixtine, tristement déchue aujourd’hui? Puis, Palestrina, par endroits si séraphiquement beau, je le trouve, l’avouerai-je… un peu impersonnel, exprimant le sentiment plutôt du prêtre à l’Autel, que celui de l’assistance. Si vous le voulez, laissons ceci qui est affaire d’appréciation. Bornons-nous à reconnaître chez les deux grands maîtres, à côté des qualités qui les rendent immortels, des complications matérielles relativement à un usage courant.

Le plain-chant, lui, n’est ni compliqué, ni impersonnel: l’attendrissement, la consolation, la paix humaine vous sont versés en pleine âme; et que de grandeur aussi, que d’austérité! Quelques voix suffisent, et pour les soutenir, un orgue de peu de tuyaux, un harmonium, ou rien. C’est l’expression véritable de la foi catholique, avec ses élans, ses profondeurs, ses mysticités. Il l’emporte en vérité, en émotion, en beauté, tout simple qu’il est dans sa nudité homophone, - mais si pur, - sur les richesses et les splendeurs de Palestrina et de Bach.

Partout, toujours, c’est le plain-chant qu’on devrait entendre, le plain-chant intégral, sans accompagnement; de loin en loin peut-être une note discrète, un accord qui maintienne le ton, et encore!... Bach, Palestrina, à des occasions solennelles.

Combien le désirent ainsi, combien le réclament! Rares pourtant sont les endroits où ceci est réalisé.

Je n’ai autorité ni compétence pour analyser avec précision les raisons de ce discrédit; si c’est dans la foule, les maîtrises ou ailleurs que l’on doit chercher la cause. Un fait brutal est là : on a le plain-chant, et on nous sert dans presque toutes les églises une musique qui choque, qui trouble au point qu’il s’en faut aller se réfugier aux messes basses pour trouver le recueillement.

C’est sur ce fait que je m’appuie.

Que l’on n’aille point me reprocher de confondre en un bloc des morceaux inqualifiables, avec des œuvres impérissables et d’autres, moins géniales, mais très belles et remarquables. Ces œuvres, il faut les admirer, les aimer; il faut les mettre à part en tant que manifestations artistiques d’un puissant intérêt. Force nous est cependant de faire des restrictions quant à leur convenance pendant les offices. Les unes, parce que trop extérieures, trop brillantes, trop mondaines, en réalité drames, oratorios ou symphonies, charmeresses de l’esprit plutôt que sobrement émotionnelles, elles nous distraient de nos pensées par l’intérêt même qu’elles éveillent. On voudrait applaudir, on voudrait féliciter l’auteur, on songe à lui en tous cas : et cela est parfait au concert.

D’autres, parce qu’étant des pastiches, des imitations, leur beauté est dans leur forme, et qu’elles sont froides, glaciales, profondément. D’autres enfin, qui ne sont ni sèches ni profanes, parce qu’elles tombent dans l’inconvénient des complications et des difficultés.

Pour en revenir au plain-chant, je juge, à mon avis, que c’est la foule qui n’est plus en état de le comprendre. Au moyen-âge, elle l’appréciait fort bien. Elle n’avait pas l’atroce musique moderne : mauvais opéras, musique militaire, chansons de café-concert, et l’épouvantable répertoire des familles, dont elle s’abreuve actuellement. Elle avait ce goût naïf et pur qui a fait naître les si beaux chants populaires. Le plat, le vulgaire, le fade, l’insipide, voilà ce qu’elle demande aujourd’hui, voilà ce qui lui est habituel. Un chant homophone, - à moins qu’il soit trivial et connu, - est devenu pour elle lettre morte; la musique liturgique lui semble une énigme, quelque chose de triste, de pauvre, de barbare, ainsi que textuellement je l’ai entendu proférer par des personnes pourtant instruites.

L’harmonisation du plain-chant, aux offices, m’apparaît ainsi un acte de concession fait au goût moderne. Non point, bien entendu, que je veuille dire que l’on aurait voulu faire du banal; j’entends que, s’étant rendu compte que la masse ne saisissait plus la musique sans accompagnement, on a mis, pour lui complaire, des accords au plain-chant. Les premiers l’ont fait n’importe comment et maladroitement; les maîtres, ensuite, s’en mêlés et ont tenté de définir des règles. Maintenant, les hommes les plus éminents sont d’accord, je crois, pour reconnaître qu’on ne peut pas harmoniser le plain-chant; qu’on ne peut pas plus conserver à la fois le caractère du ton, du modus, et celui propre, expressif ou plastique, de la mélodie, qu’on ne saurait noter les subtilités de ses accents qui sont ceux même du langage. Harmoniser le plain-chant, c’est aboutir fatalement à tout autre chose que le plain-chant : autre aspect, autre impression, autre sentiment, autre art, autre musique.

Refaire ce qui a été fait dans cette voie avec tant de soins, de science et de talent, serait bien inutile; ce n’est pas mon intention non plus. Un point cependant m’a frappé par sa justesse : c’est que concession devait être faite à la foule, de façon temporaire sans doute, non définitive, mais cependant sensible. Parce que brusquer le goût général resterait sans résultat; parce que ce n’est qu’insensiblement qu’on saurait le modifier, le ramener aux beautés sévères, mais pleines de grandeur et de vérité, des Arts et de la Religion.

L’œuvre que j’entreprends n’est pas une réforme, puisqu’elle ne vise qu’au plain-chant; elle est préparatoire, transitoire, provisoire, si l’on préfère. Sa raison d’être est la même qu’eût été celle du plain-chant harmonisé, si l’harmonisation ne lui était fatale. C’est une large concession faite au manque de sens d’art pur du peuple. C’est, à proprement parler, une traduction en langage musical moderne des impressions qu’éveille le plain-chant. Traduction qui affaiblit ces impressions, mais qui devient accessible à tous. Condamné, comme je le suis, à être toujours en arrière du chant grégorien, beaucoup cependant trouveront ma musique plus belle, parce qu’ils y auront compris quelque chose; et ce sera autant de gagné. J’affaiblis l’expression, il est vrai, mais je ne la déforme pas, je ne la troque pas pour une autre. Je sais, du moins, qu’on y peut arriver si l’on ne craint pas de ne pas s’en tenir scrupuleusement à la note des textes; si l’on ne craint pas de résolument interpréter au lieu de se borner à plaquer seulement des harmonies; si l’on veut bien, enfin, n’avoir en vue que l’esprit de ces textes, qui est l’impression, l’expression, la vie qui s’en dégage.

Il n’y a point là à crier à la merveille, ni même à la nouveauté; la tentative vaut cependant qu’on s’y arrête et mérite mieux qu’un superficiel examen. Qu’on ne la juge pas pourtant d’après les Trois Motets dont on parle, essais encore incomplets, imparfaits. Une Messe que je viens de terminer, première d’une série de compositions que, - si forces de corps et d’esprit me sont gardées, - j’espère mener à bonne fin, en donnera une idée plus convenable.

Nulle règle théorique ou autre me sert de guide; je fais du mieux que je puis. Je cherche, et sans m’astreindre, pour la musique, à la continuité des textes, je butine de ci, de là. Tantôt je conserve la phrase originale, tantôt je la modifie, tantôt j’en développe le schéma. Ici, par esprit de concession, j’écrirai les voix à deux parties (mais j’en viendrai, je pense, à supprimer toute polyphonie). Ici, il faudra que j’affaiblisse l’accent d’un chant, pour qu’avec les harmonies qui l’accompagnent, la saveur d’origine se retrouve dans l’expression. Car c’est le propre de notre musique harmonique que le caractère ressorte plus de l’harmonisation et des accompagnements, que de la phrase mélodique mème [sic]. Voilà pourquoi il faut de la latitude. Voilà pourquoi aussi, il ne faut pas me condamner au nom des règles du plain-chant.

De ceci, nécessairement, résulte un aspect musical moins habituel : n’oublions pas que nous sommes en présence d’un compromis transitoire entre l’homophonie liturgique et la musique ordinaire. N’allons pas cependant jusqu’à nous servir du terme de “style nouveau” qui tendrait à attribuer une importance trop considérable à une tentative de création musicale plutôt effacée, secondaire.

N’allons pas, inversement, nous effaroucher pour ce qu’on aurait tort d’appeler des hardiesses de plume, puisqu’il n’est aucune loi d’harmonie établie fondamentalement. Les règles qu’on donne ne sont qu’empiriques; nos maîtres, Bach le premier, les ont librement transgressées. Ne nous troublons point davantage devant des changements de mesure fréquents dont, cette fois, je fais un usage systématique. A la vue, je le reconnais, cela semble compliqué; à l’audition c’est simple, naturel. Ainsi, seulement, a-t-on la souplesse, à peu près, pour noter l’allure merveilleuse, et le rythme de la mélopée grégorienne. Ainsi, également, se note la chanson populaire. Chacun connaît le procédé, il s’enseigne à l’Ecole. On écrit le mélos tout au long ; on met des barres de mesure devant les plus forts ictus. On ne se préoccupe pas si les mesures se suivent variées ou régulières, la mesure n’étant qu’un élément graphique de la notation.

Je m’excuse de rappeler ici cette leçon d’écriture : je tenais à me dégager de tout reproche de pédantisme prétentieux. Je sais, je le répète, qui, même de la sorte, on ne parvient pas encore à mesurer exactement les rythmes du plain-chant. Je répéterai aussi que nous sommes dans un art différent, où les accents de la phrase chantante, sans perdre leur importance entièrement, se trouvent noyés cependant, dans les véhémences et les accents plus violents des sonorités dont on s’accompagne; et que rien n’approchera jamais le plain-chant.

Me suis-je exprimé avec assez de clarté; ai-je su, en ces quelques lignes, me faire comprendre? Mes intentions ne sont point, peut-être, si peu évidentes qu’on ne puisse les deviner sans explication. Plusieurs sommités musicales et ecclésiastiques, à travers les faiblesses inhérentes à de premiers essais, les ont aisément découvertes, voyant en elles, - en termes que je cite, - « un hommage éclatant rendu à notre vieux chant grégorien ». Des gages d’approbation aussi inestimables, et d’autres non moins encourageants, précieusement je les conserve. Et j’ose espérer, Monsieur le Directeur, puisque je me suis expliqué, qu’en moi, dorénavant, vous voudrez bien ne plus voir un adversaire à réduire au silence, mais un allié combattant dans vos rangs; un allié qui lutte à sa façon, mais cependant un allié.

Adolphe Samuel

Samuel, A.: À propos des Trois Motets, in: Musica Sacra, jrg. 16, nr. 3, oktober 1896, p. 17-20.