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[Onderstaande tekst werd gedeeltelijk overgenomen in Emile Mathieus Notice sur Karel Mestdagh, waar als auteur "F.G.H." vermeld staat. Emile Mathieu beschrijft de auteur discreet als "un fin lettré, artiste de race, qui s'est fait dans le monde de Paris une situation très enviable, et dont les chroniques d'art, au Journal des Débats et dans diverses revues, ont été à juste titre fort remarquées." Het originele artikel in de Guide musical, zoals het hieronder volledig is weergegeven, werd ondertekend door H. F.-G., wat in de lijst met auteurs van de Guide musical overeenkomt met Hippolyte Fierens-Gevaert, schoonzoon van François-Auguste Gevaert en eerste conservator van de Musea voor Schone Kunsten van België.]

Dans le puissant travail d'affranchissement qui enfièvre les nouvelles générations artistiques de Belgique, la musique n'a pas encore donné, semble-t-il, comme la peinture ou la littérature, une oeuvre qui marquât un point d'arrivée de cette évolution si active et si vraiment autochtone de tous les jeunes esprits de notre race. Mais une telle résurrection des plus pures facultés traditionnelles doit entraîner forcément la libération de tous les arts, et la musique, avant peu de temps, aura sa jeune école ardente et productive, comme la poésie a ses Maeterlinck, ses Verhaeren ; la peinture, ses Frederic, ses Laermans, ses Struijs ; la sculpture, ses Meuniers, ses Lagaë, etc.

Déjà l'oeuvre de Peter Benoit, entré dans les « templa serena » de la consécration publique, projette de vives lueurs sur l'avenir de notre musique et nous apparaît comme l'effort le plus significatif et décisif que l'on ait tenté jusqu'à ce jour. Mais cette régénération musicale, que l'illustre l'auteur de Charlotte Corday saluait avec raison dans un discours récent et qu'il personnifie du reste avec une géniale autorité, est peut-être encore trop exclusivement anversoise, en ce sens que tous les compositeurs formés, si je puis dire, dans son atmosphère, recherchent trop volontiers, uniquement souvent, les effets de plasticité, de relief, de coloris, de larges contours presque visibles, les contrastes saisissants des harmonies, procédés techniques et moyens d'expression par lesquels s'affirmait merveilleusement le génie des anciens peintres anversois.

L'âme flamande se traduisait ailleurs par une tout autre gamme : celle de la grâce mystique, de la spiritualité naïve, du charme intime devant la nature, la gamme enfin des primitifs brugeois, de Van der Weyden, de Memling. C'est un musicien qui chantera avec simplicité ses joies, ses aspirations, ses émotions les plus profondes, un doux et très persuasif chantre de l'âme, que je voudrais pouvoir signaler un jour, non comme le précurseur de la musique flamande régénérée, puisque des maîtres remplissent aujourd'hui de leur gloire une très honorable phase de transition, mais comme l'incarnation en quelque sorte de notre don de subjectivité - le meilleur, le plus pénétrant, le plus noble de tous les dons de l'âme flamande.

M. Karel Mestdagh m'en voudrait évidemment s'il me croyait capable de le désigner publiquement comme le musicien attendu ; il y a des zèles et des admirations qui compromettent les réputations les plus sérieuses, et je pense que le charmant compositeur brugeois se trouverait un peu écrasé par mon compliment ... En réalité, les quelques réflexions que je vous soumettais plus haut m'ont été suggérées pas la lecture d'une demi-douzaine de lieder tout à fait délicieux (Breitkopf et Härtel) que M. Karel Mestdagh vient de m'envoyer, et je crois très sincèrement que si le sol flamand doit produire quelque jour son musicien, ce sera dans des circonstances semblables à celles qui ont favorisé le développement de l'artiste brugeois.

La nature déploiera de plus amples ressources, dotera son élu plus richement, mais ses moyens seront d'une essence identique. Elle fera un musicien mystique - le mysticien n'excluant nullement l'amour de la réalité - quand elle voudra créer le compositeur flamand. Elle donnera l'âme d'un Memling à quelque musicien moderne ; et ce jour, nous reconnaîtrons le vrai chantre de notre race. Elle paraît avoir hésité avec Franck et Lekeu. Mais le mysticisme se confondait ici avec l'abstraction la plus vague. L'absence de couleurs vives, précises, révélait immédiatement un germanisme incertain.

Sans établir de comparaison, de hiérarchie d'aucune sorte, - je le répète et j'insiste - il est permis de présenter M. Karel Mestdagh comme le premier en date des musiciens de la West-Flandre. On n'ignore pas qu'un mouvement d'art très intense s'est développé ces vingt dernières années dans la Flandre Occidentale, et que la tradition esthétique, endormie depuis deux ou trois siècles, s'y est réveillée sous l'impulsion de quelques poètes d'un rare talent : Guido Gezelle d'abord, le véritable initiateur, puis ce pauvre Albrecht Rodenbach, fauché en pleine jeunesse ; enfin, tout récemment Paul de Mont. Le sculpteur Lagaë, si profondément et si « memlingesque », lui aussi, est sorti de ce groupe.

Karel Mestdagh est le musicien de cette génération; et s'il n'est pas allé toujours aussi loin que ses émules dans ses transcriptions expressives de la nature, il a du moins le mérite d'avoir traduit avec la plus entière sincérité et le plus grand scrupule d'art ce qu'il voyait dans son beau pays, ce qu'il sentait dans son coeur de Flamand passionné et exclusif.

Il aime Bruges, son passé, son art, ses légendes, sa grandeur effacée dans la brume historique. Il aime la belle campagne sereine et majestueuse qui environne la vieille cité. On trouvera la beauté noble de l'antique commune en quelque sorte transposée dans certaines compositions chorales de M. Mestdagh. Mais l'artiste a mieux donné sa mesure dans les lieder. Ils sont vraiment flamands, comme ceux de Schumann sont allemands, comme ceux de Schubert sont allemands aussi, quand le maître du Roi des Aulnes met en musique quelque antique poème de sa race. Les lieder de Mestdagh sont donc flamands subjectivement. Les thèmes ont la simplicité des vieilles chansons populaires; ce ne sont ni des pastiches, ni des imitations, ni des contrefaçons. Ce sont des inventions mélodiques très libres, qui évoquent par le charme du contour et l'ingénuité séduisante de leur forme toute la grâce des airs lointains et oubliés.

Dans 'T is niet omdat gij een roosken zijt domine une sentimentalité légèrement retenue, narquoise par endroits; le Bloemenkrans est conçu dans une note plus tendrement élégiaque ; Daar slaat in gindsen woude een klein lief huiseken fijn est un délicieux paysage de fraîcheur et de paix que je déclarerais volontiers virgi­lien, si je ne m'étais appliqué à vous définir le caractère flamand du musicien; Roosken uit der Heide a l'éclat d'une matinée printanière; Ei Bezinne de Mei étincelle, brille, rayonne et vibre comme une lumineuse journée d'été; enfin, Fantasia, où le poète nous montre des nuages s'effaçant dans le ciel comme les illusions trop tôt disparues de notre âme, est une pure et noble rêverie que l'on dirait jaillie des lèvres du musicien en face de quelque sublime spectacle céleste, dans une douloureuse minute d'accablement et de tristesse.

Partout M. Karel Mestdagh a pénétré jusqu'à l'intimité la plus étroite le sens des poèmes de de Mont et de Roden­bach. Lisez ces pièces tout à fait délicates et émues de ces jeunes écrivains flamands: lisez la musique de M. Karel Mestdagh. C'est une double joie pour quiconque aime l'art de notre pays et pour quiconque en rêve la résurrection.

H. F.-G.

H. F.-G. [Hippolyte Fierens-Gevaert]: Un compositeur de Lieder: M. Karel Mestdagh, in: Guide musical, jrg. 43, nr. 44, 31 oktober 1897, p. 681-682.